- Propos recueillis et traduits de l'anglais par Marie Assaf et Laure Saincotille
- 03/10/2023
« Les projets lauréats ont toutes les cartes en main pour mettre en œuvre des travaux de recherche novateurs »
L’ANR (Agence nationale de la recherche) a nommé Giovanni Lamura Président du jury international chargé de la sélection des projets de recherche des deux appels à projets du PPR Autonomie. Spécialiste du vieillissement, il est depuis 2012 Directeur du Centre de recherche socio-économique sur le vieillissement (National Institute of Health and Science on Ageing, INRCA IRCSS) en Italie. Alors que l’annonce des résultats du second appel à projet approche, il revient dans cet entretien accordé au PPR Autonomie sur le travail de sélection des deux jurys qu’il a présidés.
PPR Autonomie – Pouvez-vous vous présenter, en quelques mots ?
Giovanni Lamura – Je suis directeur du Centre de recherches socio-économiques sur le vieillissement, au sein l’Institut national des sciences de la santé et du vieillissement. Nous y menons des travaux de socio-économie sur diverses problématiques liées au vieillissement, et nous avons à cet égard trois grands axes de recherche. Un premier axe vise à promouvoir des politiques de santé publique de prise en charge du vieillissement dans toutes les régions italiennes. Un second axe entend promouvoir des politiques de santé publique et des mesures pour développer l’aide aux personnes qui ont besoin d’une prise en charge de longue durée – des mesures tant en termes de financements et de services à la personne que de soutien aux aidants, déclarés ou non déclarés, c’est-à-dire aux professionnels du soin, mais également aux membres de la famille, aux voisins ou aux amis qui apportent leur aide à leurs proches. Enfin, le troisième axe de recherche – peut-être plus spécifique au contexte méditerranéen, mais qui tend de plus en plus à s’appliquer aussi à l’Europe continentale – porte sur l’emploi, par de nombreux ménages, de professionnels issus de l’immigration afin de prendre en charge les soins au quotidien. C’est un aspect bien souvent négligé, néanmoins central pour le fonctionnement de nos sociétés vieillissantes.
PPR Autonomie – Quels seront selon vous les principaux apports des projets financés ?
Giovanni Lamura – Je suis convaincu que les projets lauréats ont toutes les cartes en main pour mettre en œuvre des travaux de recherche novateurs et répondre ainsi aux quatre défis que présentaient les appels à projet. Les projets ont pour ambition de définir l’autonomie et d’établir des méthodes pour la comprendre et la mesurer. Ils cherchent à proposer des manières de construire des politiques publiques favorables à l’autonome, à donner les moyens de décrire les expériences de vie des personnes concernées et les expériences professionnelles des personnes responsables de celles et ceux qui perdent leur autonomie. Enfin, ils entendent développer des outils et des protocoles expérimentaux innovants. Le gouvernement français a pris une décision avisée en lançant ce programme de recherche.
PPR Autonomie – Les appels à projets du PPR Autonomie ont pour ambition d’ouvrir de nouvelles perspectives, des méthodes et des solutions concernant la question de l’autonomie. En outre, ces appels ont souligné la nécessité d’aborder les enjeux liés à l’autonomie à travers une approche interdisciplinaire qui relie les expériences liées au vieillissement et au handicap. Comment ces défis ont-ils été abordés dans les projets financés ?
Giovanni Lamura – L’idée selon laquelle les problématiques liées au vieillissement et au handicap se recoupent ne va pas de soi. Si la plupart des chercheurs du champ du vieillissement connaissent bien les problématiques du champ du handicap, il y a tout de même un certain nombre de différences entre ces deux domaines d’investigation, surtout en ce qui concerne le handicap à l’âge adulte, qui a des conséquences particulières : c’est tout un réseau d’individu qui est alors mobilisé, notamment des membres de la famille. Je suis convaincu que ces projets, en mobilisant conjointement ces deux champs de recherche, pourront apporter des informations précieuses, qui sont rarement explorées dans les travaux plus traditionnels.
PPR Autonomie – Bien que les règles de financement de l’ANR aient été très restrictives, le Conseil scientifique a encouragé les chercheurs à établir des partenariats avec des équipes à l’étranger. Quel bilan peut être dressé à la lumière de ces objectifs clés pour la structuration de la recherche française ?
Giovanni Lamura – Le développement d’une approche internationale par les projets déposés a été un critère important de notre évaluation et afin de déterminer ceux qui seraient financés. Nous avons donc prêté attention aux expériences passées de collaboration dans des projets internationaux et de participation à des initiatives en consortium, et aux liens que les projets comptaient mettre en place avec des partenaires internationaux. Même s’il est regrettable que certains projets n’aient pas pu être financés du fait de cette contrainte, il s’agissait d’un critère de sélection qui s’appliquait à tous. D’une certaine manière, nous avons pu ressentir une forme d’égalité entre les participants, car certains d’entre eux ont très bien réussi à tirer parti de cette contrainte, mais il était évident que certains projets s’en sortaient mieux que les autres. Certains des partenaires étaient bien plus habitués que d’autres à travailler avec des collègues à l’échelle nationale et internationale, ce qui était palpable à la lecture des propositions de projet.
PPR Autonomie – Selon vous, en quoi le PPR Autonomie est-il différent d’autres projets européens qui ont été financés de la même manière, par une agence européenne ou d’autres agences nationales ?
Giovanni Lamura – Un aspect particulièrement positif du PPR Autonomie a été son jury et les interactions entre ses membres. J’ai eu la sensation que c’était peut-être une gestion de projet caractéristique de la France. D’autres pays ont peut-être une approche plus individualiste : il y a le projet, trois ou quatre chercheurs se penchent sur le dossier, et in fine ce sont des évaluations individuelles qu’ils produisent, il n’y a pas beaucoup d’interactions entre eux. Il me semble que c’est pour cette raison que le processus a été intéressant. De nombreux collègues ont été amenés à changer d’avis, parfois du fait des interactions que nous pouvions avoir : cela nous donnait l’occasion de revoir notre appréciation. C’est évidemment plus chronophage – peut-être que certains des évaluateurs qui avaient été invités n’ont pas pu l’accepter – mais c’est une organisation mieux conçue. C’était aussi très stimulant de pouvoir interagir avec des collègues lors des auditions, ce qui était assez nouveau pour certains d’entre nous puisque dans la plupart des pays il n’y a jamais d’audition.
PPR Autonomie – Une dernière question. Le PPR Autonomie est une initiative de financement de la recherche, mais c’est également un programme d’animation qui vise à créer des liens entre les projets financés. Un commentaire ?
Giovanni Lamura – Pour parvenir à faire dialoguer ensemble les projets lauréats, les financer ne sera pas suffisant : il faudra travailler à créer des liens entre eux et à les renforcer. A présent, les porteurs de projet ne sont plus en situation de compétition pour obtenir un financement, et ils devraient parvenir à se représenter comme appartenant à une plus grande communauté de consortiums déployant des projets très bien financés avec des fonds publics. Il est important d’instaurer des rendez-vous réguliers afin que les différents projets puissent échanger sur leurs avancées. Bien souvent, les chercheurs et les laboratoires ne collaborent pas ensemble car ils craignent de se faire voler leurs idées. Il est donc primordial de construire le champ de l’autonomie en le pensant sur le long terme.
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