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Autonomie, dépendance et institutions sanitaires et sociales

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Comment tirer parti de la notion de « dépendance » en histoire, lorsqu’il s’agit d’étudier des périodes où ce terme n’était pas utilisé ? Peut-il être un outil pertinent pour la recherche ? Pour Mathilde Rossigneux-Méheust, la réponse est oui : à travers l’étude de multiples sources, en faisant l’histoire des établissements d’assistance dédiés à l’accueil des « vieux », en retraçant l’évolution des liens familiaux aux XIXe et XXe siècles, il est possible d’observer la diversité et l’ambivalence des relations de dépendance entre les individus, et entre les individus et les institutions. Retrouvez ici le compte-rendu de la deuxième séance du séminaire de recherche  « Autonomie(s), indépendance et dépendances ».

Première de couverture du compte-rendu de la première séance du séminaire "Autonomie(s)" - Autonomie, dépendance et institutions sanitaires et sociales. Cette première page inclus la photographie de l'intervenante, Mathilde Rossigneux Méheust, ses fonctions. Mention : Laure Saincotille, équipe programme du PPR Autonomie (rédaction). Séminaire organisé par le PPR Autonomie, en collaboration avec l'ILVV et la Fedrha. Résumé du contenu de la séance : à retrouver directement dans le corps de l'article.

Face aux archives : l’absence de la notion de « dépendance »

Les archives des XIXe et XXe siècles semblent, au premier abord, de peu d’utilité pour étudier la notion de « dépendance » : le terme en est absent. A sa place, cependant, on trouve des notions qui décrivent les personnes pouvant vivre dans des hospices et des maisons de retraite : elles sont « incurables », en état d’« incapacité » et de « détresse », elles n’ont plus les « moyens d’exister », aussi la société a-t-elle envers elles une « dette sacrée ».

« L’ensemble de ces termes propose une définition en creux du « déficit » des individus pouvant les conduire à vivre en institution, et constitue une catégorie très large. »

L’absence de la notion de « dépendance » n’empêche pas l’historienne Mathilde Rossigneux-Méheust d’en tirer parti pour ses travaux, en étudiant les établissements d’assistance et les liens familiaux.

L’étude des institutions

« L’analyse de ces institutions et, à travers elles, de l’évolution de la prise en charge des dépendances, consiste notamment à interroger les critères qui peuvent être mis en avant pour être reconnu comme nécessitant l’assistance. À l’étude des sources du XIXe siècle, les critères retenus témoignent d’une grande confusion catégorielle et, en découlant, institutionnelle. »

Qui peut bénéficier des établissements d’assistance ? Qui est prioritaire pour y trouver une place ? Ce travail de catégorisation et de priorisation pour rationaliser l’accès aux institutions occupe les XIXe et XXe siècles, des textes de loi aux règlements des établissements, et jusqu’aux candidats à l’assistance eux-mêmes, qui décrivent longuement leurs conditions d’existence et leurs maux dans l’espoir d’être admis dans un établissement d’accueil, fut-il de mauvaise réputation.

Les personnes ayant besoin d’assistance sont nombreuses. Les vieillards, vaste catégorie, sont aussi des invalides parfois relativement jeunes. La fragilité économique, provoquée par l’incapacité au travail, trouve ses racines dans les fragilités du grand âge, de la maladie invalidante.

« La notion de « dépendance » est donc difficilement transposable telle quelle, mais son usage appelle pourtant une réflexion riche lorsqu’elle est abordée à travers un prisme relationnel. Il devient alors possible d’étudier ce que veut dire concrètement « être dépendant » pour les individus, d’observer que cette dépendance est réciproque et mêlée d’autonomie. »

Cependant, les bénéficiaires de l’assistance ne correspondent pas à nos représentations actuelles d’une dépendance soumise et passive, unilatérale : nombreux sont ceux qui circulent entre les établissements, protestent pour y obtenir des droits et des conditions de vie qui les satisfont mieux. Les institutions dont dépendent de nombreux individus, quant à elles, sont dépendantes de leurs pensionnaires pour fonctionner : elles les mettent au travail, tirent un revenu de leurs corps.

Faire l’histoire des liens familiaux

Qui dépend de qui ? La famille et ses liens donnent de précieux éclairages sur cette question, notamment à travers l’étude des obligations alimentaires qui rendent les enfants solidaires de leurs vieux parents lorsque ceux-ci ne peuvent plus subvenir à leurs besoins. La notion de « soutien de famille », dans le cadre de l’armée, dévoilent l’importance de la contribution des jeunes hommes célibataires envers leurs aînés.

Les colonies familiales et le travail des nourrices qui exercent des services de soin auprès d’anciens internés en hôpitaux psychiatriques, dévoilent des situations de dépendance et d’interdépendance encore peu étudiées.

« Mathilde Rossigneux-Méheust a étudié, avec sa collègue historienne Marie Derrien, deux de ces villages : l’un dans le Cher, l’autre dans l’Allier. Elles ont orienté leurs recherches vers le travail des nourrices : des femmes âgées de plus de cinquante ans accueillant à leur domicile deux ou trois malades. »

Enfin, les archives de police, à travers les signalements en psychiatrie, témoignent des difficultés des familles à prendre soin des proches dont l’état de santé dépassent leurs propres moyens de soutien : elles s’en remettent alors aux institutions.

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A propos de Mathilde Rossigneux-Méheust

Mathilde Rossigneux-Méheust est maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2. Elle est membre du LARHRA (Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes).

Ses travaux de recherche portent sur les rapports de l’État et des individus dans la France contemporaine, qu’elle étudie sous l’angle des institutions sanitaires, sociales et médico-sociales, dans leur dimension disciplinaire. Elle s’intéresse aux institutions dédiées à l’accueil des vieux et à la construction de ces institutions – notamment en amont des lois d’assistance de la République – ainsi qu’aux catégories qui permettent de classer la diversité des personnes accueillies dans les établissements d’assistance. Elle développe également des travaux d’histoire sociale portant sur les classes populaires, le travail des personnes âgées, le travail de care, etc.

À l’égard de ces questions, elle est l’autrice des ouvrages Vues d’hospice. Vieillir et mourir en institution au XIXe siècle (Champ Vallon, 2018) et Vieillesses irrégulières. Un fichier d’indésirables en maison de retraite (1956-1980) (La Découverte, 2022).

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