Actualités du PPR

Entretien avec le graphiste Jojo Decaux – Bleu Renard studio

Partager sur

« Créer une communication plus accessible, c’est tout simplement respecter l’autonomie de chacun et chacune ! Cela devrait donc être primordial. »​

A loccasion de la publication de linfographie du tour dhorizon des lauréats des deux appels à projets du PPR Autonomie (handicap et vieillissement), l’équipe projet vous propose de rencontrer Jojo (Bleu Renard studio), graphiste avec lequel elle a collaboré pour produire ce document. Alors que dautres créations sont en cours de réalisation pour présenter plus en détail les projets lauréats, il nous semble important de mettre en avant ce pourquoi nous avons décidé de travailler avec Jojo : son engagement et ses aptitudes en accessibilité graphique.

Photographie de Jojo Decaux. Cheveux courts et lunettes rondes, il regarde une série de palettes de couleurs.
Jojo Decaux

PPR Autonomie – Bonjour Jojo. Peux-tu présenter le parcours qui ta mené à tintéresser au graphisme et à te spécialiser plus particulièrement sur les questions daccessibilité ?

Jojo Decaux – Je suis passionné de graphisme depuis tout jeune, après avoir fait la merveilleuse découverte de l’ordinateur et des logiciels de création quand j’avais 9 ans. Plus tard et après un BTS design graphique, je me suis rapidement lancé dans le salariat au sein d’une agence digitale web. À cette époque, je ne travaillais pas du tout sur l’accessibilité et cela n’a jamais été mentionné dans mes études. Pourtant, c’est une question qui a été très présente durant ma vie, ma mère étant handicapée et ayant des difficultés d’accès au numérique. En me lançant en freelance, j’ai décidé de lier un peu tout ça : exercer une activité qui me plaise, qui soit utile à la société et me permette, à mon échelle, de contribuer à une communication plus accessible et inclusive.

Je me suis dit : « c’est mon boulot, comment puis-je améliorer la qualité de tout ce que je crée ? » Et comprendre et essayer de solutionner, c’est une de mes passions ! 

PPR Autonomie – Quest-ce qui ta permis de te former pour cette spécialisation ? Est-ce que tu as pu trouver des ressources facilement, ou bien est-ce que ce sont des problématiques qui sont encore sous-représentées dans les formations en graphisme ?

Jojo Decaux – Je ne pourrais pas parler pour les études actuelles, mais il y a dix ou douze ans, la notion d’accessibilité n’était pas présente dans mes études de graphisme, pourtant tournées vers la création web.

Il existe de nombreuses ressources sur l’accessibilité graphique et numérique (même si la majorité sont consacrées au web)  : des MOOC (Massive open online course), des livres, des interviews de personnes concernées par des besoins en accessibilité, et bien sûr les WCAG (Web content accessibility guidelines), qui sont les recommandations internationales d’accessibilité web. Mon apprentissage est fait de tout cela ! Beaucoup de ressources sont en anglais, mais il en existe de nombreuses en français comme le site design-accessible créé il y a quelques années par Anne-Sophie Tranchet ou les notices d’AcceDe Web que je conseille à tout graphiste.

C’est aussi en mettant en pratique que l’on apprend. Il existe également des formations payantes proposées par des organismes experts en accessibilité (graphisme, développement, audit officiels, etc.) Clairement, on a de quoi faire quand on veut vraiment s’y mettre !

Au-delà de l’acquisition de connaissances « pures », je pense qu’il est aussi important de se renseigner sur les mouvements sociaux des personnes handicapées, en France et à l’international, afin de mieux comprendre leurs besoins et leurs revendications. À mes yeux, l’un ne va pas sans l’autre : pour travailler l’accessibilité, il est primordial de partir de l’expérience des personnes avant tout, de ne pas uniquement se dire « il faut être dans les clous niveau lois » ou « ça aura une plus grande portée marketing ». Créer une communication plus accessible, c’est tout simplement respecter l’autonomie de chacun et chacune ! Cela devrait donc être primordial.

Instagram est aussi est une mine d’or en termes de partage d’expériences et de points de vues de personnes handicapées. À titre personnel, j’ai pu mieux comprendre les besoins d’accessibilité de certaines personnes neuroatypiques (autisme, troubles dys-, TDA-H, trouble anxieux généralisé…) sur le web ou dans des évènements, et cela m’a par ailleurs aidé à me rendre compte de mes propres besoins, étant moi-même neuroatypique (la boucle est bouclée !). Ces profils me semblent moins présents dans les ressources sur l’accessibilité, mais cette année plusieurs livres en anglais sont sortis sur le sujet.

C’est grâce aux réseaux sociaux que je suis passé du simple apprentissage en accessibilité graphique à une volonté de mieux appréhender l’accessibilité dans toutes les sphères où je peux avoir un impact, et que j’ai commencé à y travailler autant que possible.

 

PPR Autonomie – Quels sont les services que tu proposes à tes clients ? Est-ce que le soin porté à laccessibilité graphique a un impact sur la façon de travailler avec les commanditaires ?

Jojo Decaux – Je travaille principalement avec des freelances ou des associations dans l‘objectif de rendre le sujet de l’accessibilité… plus accessible ! Mais avant la question de l’accessibilité, je suis surtout graphiste spécialisé en identité visuelle, et je propose 3 services à cet égard :

  • L’audit graphique, qui permet aux personnes ayant déjà une identité visuelle et un petit budget de comprendre et d’améliorer leur accessibilité graphique.
  • L’identité visuelle, avec la création de logos et d’univers graphiques pensés pour répondre à un maximum de besoins d’accessibilité.
  • Des services à la carte autour de la création d’univers graphiques et accessibles comme pour le PPR Autonomie.

Je consacre toujours une partie de mes services à un partage de ressources adapté à leurs besoins en termes de communication : l’objectif est de leur donner le plus d’informations possible pour qu’ils et elles puissent à leur tour devenir les acteurs et actrices d’une communication plus accessible à leur échelle, au-delà de leur seule identité visuelle (réseaux sociaux, organisation de leurs services, structure de leur site web, etc.)

C’est une brique supplémentaire qui vient nourrir notre collaboration à travers des échanges et un soin apporté à l’usage de l’identité visuelle. Je fournis ainsi des guides d’utilisation pour respecter l’accessibilité et divers conseils, mais également la possibilité d’organiser des tests d’usage, des questionnaires à destination des futurs usagers en amont des productions, ou de retravailler ultérieurement certains choix faits après des retours sur l’accessibilité de l’identité visuelle.

 

PPR Autonomie – Proposer des supports inclusifs peut sembler complexe, et on entend parfois qu’être « accessible à 100% » est impossible. Quest-ce qui permet, selon toi, de dépasser cet a priori ? Dans le cadre de ta collaboration avec le PPR Autonomie (ou avec dautres clients), est-ce que tu as eu à mettre en forme une information qui sest révélée complexe à transcrire au moment de la création graphique, et comment es-tu parvenu à surmonter ces difficultés ?

Jojo Decaux – C’est à la fois un a priori et une vérité car être « accessible à 100% », cela signifierait parvenir à prendre en compte tous les besoins et profils des personnes qui ont besoin d’accessibilité, ce qui peut s’avérer très compliqué. Mais d’’un point de vue légal, on peut être 100% conforme aux critères de l’accessibilité numérique. Au-delà de dépasser ces a priori ou vérités, il est surtout important de dépasser l’inaction, de se mettre au travail avec ce qu’on a déjà en main (compétences, temps, supports à améliorer, etc.) !

L’objectif est de faire en sorte qu’un maximum de personnes puissent avoir accès à nos contenus en toute autonomie, et que si elles ne le peuvent pas, qu’elles aient toujours la possibilité de nous signaler facilement un manquement, afin que nous puissions améliorer nos supports. Bien sûr, dans certains cas, il peut y avoir besoin de solutions entièrement personnalisées. Mais déjà, rendons nos documents les plus accessibles possibles.

Pour cela, il convient notamment de :

  • Faire en sorte que les choix réalisés soient d’abord réfléchis pour être accessibles sur un maximum de points sans qu’il y ait besoin de personnalisation ou d’outils : choisir des couleurs assez contrastées, une typographie lisible, des lignes pas trop longues à lire, etc.
  • Prendre en compte l’usage des outils dédiés à l’accessibilité : structurer les supports pour que les personnes utilisant des lecteurs d’écrans ne soient pas bloquées.
  • Proposer plusieurs manières d’accéder à nos documents avec une expérience la plus similaire possible : un podcast à écouter et à lire via une transcription précise et la plus immersive possible. Par exemple, pour le PPR Autonomie, j’ai proposé de créer en plus une version sombre du document, car certaines personnes sont plus à l’aise avec ce type de couleurs en terme de luminosité.

Plus généralement, les schémas informatifs sont complexes à transcrire. Mais dans mon travail sur l’infographie de présentation des projets lauréats du PPR Autonomie, l’élément qui m’a posé le plus de difficultés est la page sur la pluridisciplinarité des projets, pour laquelle nous cherchions à créer une page claire et agréable quel que soit l’outil d’accès utilisé. Au vu de la quantité d’informations à transmettre, j’ai décidé de réfléchir en premier lieu à la consultation de cette page avec un lecteur d’écran. Comment la structurer pour que l’ensemble des éléments informatifs soient clairs à l’écoute ? Une organisation en listes sous des grands titres m’est apparue comme étant la meilleure solution. Ce n’est qu’ensuite que j’ai réfléchi à l’aspect graphique.

PPR Autonomie – L’attention à laccessibilité est-elle un frein à ta créativité, ou au contraire la considères-tu comme une stimulation, un cadre qui tincite à développer de nouvelles manières de créer ?

Jojo Decaux – C’est totalement une stimulation ! Je me dis rarement « je ne peux pas faire ça car ce n’est pas accessible » mais plus « comment puis-je arriver à ce résultat en pensant à l’accessibilité ? » Cela demande de faire preuve d’une créativité et d’une structuration d’idées différentes. Par exemple, pour mon travail avec le PPR Autonomie, j’ai dû me demander comme rendre l’information attractive visuellement tout en m’assurant de sa clarté avec un lecteur d’écran, sans pour autant avoir à démultiplier le contenu nécessitant des descriptions pour les graphiques.

Cela exige aussi une certaine humilité, d’accepter que tout ne pourra pas être parfait. Nous ne pourrons acquérir certaines connaissances ou compétences que plus tard (par exemple, en ce qui concerne le développement web, je suis toujours frustré de connaître presque uniquement la théorie), ou des besoins en accessibilité auxquels nous ne pensions pas du tout pendant notre travail. Il faut également admettre que certains choix en termes d’accessibilité doivent être testés par des personnes concernées, ou dans un contexte précis, afin d’être ajustés par la suite.

 

PPR Autonomie – Si tu devais donner un petit « kit de démarrage pour améliorer son accessibilité graphique », quels sont les points essentiels vers lesquels tu souhaiterais attirer l’attention ?

Jojo Decaux – Celui dont on parle aussi très souvent : la couleur.  Selon l’étude annuelle d’accessibilité web WebAIM, sur 1 millions de site web testés, 83.6% des pages ont au moins une erreur de contraste des couleurs. C’est un des points qui me semble à la fois le plus simple à mettre en œuvre en terme d’amélioration, mais aussi le plus important :

  • Améliorer le contraste des couleurs d’une palette déjà faite ou y ajouter une nuance.
  • Savoir quelle couleur utiliser pour quel élément (texte ou fond ? Grande ou petite surface ?) : avoir une palette accessible et savoir l’utiliser sont deux choses différentes. Je conseille de se faire un guide des couleurs visuel (telle couleur pour le texte sur telle couleur de fond) en testant chaque combinaison avec des logiciels comme Colour Contrast Analyser.
  • S’assurer qu’on n’utilise pas seulement la couleur pour véhiculer une information : dire « la zone verte du schéma représente les personnes… » sera peu accessible à une personne daltonienne qui perçoit le vert comme jaune ou bleu. Par exemple, on peut utiliser une forme géométrique en plus de la couleur (triangle vert et carré rouge), un motif coloré (aplat avec des rayures verte et aplat avec un quadrillage rouge) sans oublier la légende ! Ou tout simplement relier la zone avec une ligne et sa légende.
  • Croiser tout ça avec nos usages ! Si par exemple nous savons que notre document sera en majorité consacré à du texte, il faudra alors privilégier des couleurs neutres pour le fond et le texte afin d’éviter la fatigue visuelle, et garder les couleurs plus punchy pour des éléments graphiques.

Ressources documentaires

Livres (majoritairement en anglais)

Carlos, C. (2020) Je vais m’arranger : comment le validisme impacte la vie des personnes handicapées. Auto édition.

Coady, G. (2017). Color Accessibility Workflows. A Book Apart.

Holmes, K. (2020). Mismatch: How inclusion shapes design. Mit Press.

Kalbag, L. (2017). Accessibility for everyone (pp. 8-117). New York: A Book Apart.

PenzeyMoog, E. (2021). Design for safety. A Book Apart.

Horton, S., & Quesenbery, W. (2014). A web for everyone: Designing accessible user experiences. Rosenfeld Media.

Puiseux, C. (2022). De chair et de fer: vivre et lutter dans une société validiste. La Découverte.

Wong, A. (Ed.). (2020). Disability visibility: First-person stories from the twenty-first century. Vintage.

 

Formations MOOC (en anglais)

W3Cx: Introduction to Web Accessibility 

An Introduction to Accessibility and Inclusive Design 

 

Ressources autres

Se documenter sur le concept de « Nothing about us without us » / « Rien sur nous sans nous »

Le collectif « Les Dévalideuses »

Le site A11y guidelines de la marque Orange (FR)

La newsletter A11y Weekly, qui partage des articles autour des sujets d’accessibilité et d’inclusion, sur une grande diversité de thématiques (EN)

Le podcast The Politics of Disability par Mary Fashik (EN)