Que nous apprennent les évolutions architecturales des lieux de vie des personnes âgées ? De l’aménagement du domicile ordinaire à la reconception des espaces de l’EHPAD, en passant par la grande multiplicité des caractéristiques développées dans le processus de diversification de l’offre d’habitat service, Manon Labarchède nous propose un tour d’horizon de ces changements d’organisation spatiale et sociale, sous le signe de la recherche de l’inclusion.

Penser à partir de l’architecture
L’architecture est un vecteur important de nos représentations sociales : l’aspect esthétique et l’organisation d’un bâtiment nous suggèrent ses fonctions, mais nous inspire également ce que nous pensons de ses usagers et comment nous interagissons avec eux – sont-ils des malades dans un lieu de soin au chevet desquels nous nous rendons, ou bien des habitants qui vaquent à leurs occupations, chez qui nous allons prendre un café ?
Repenser les conceptions architecturales de l’habitat des personnes âgées, c’est donc aussi se donner l’opportunité de repenser la place des personnes vieillissantes au sein de notre société.
L’habitat n’est pas l’habitation
« Il faut distinguer l’habitat de l’habitation, cette dernière renvoyant au seul logement. L’habitat inclut quant à lui des caractéristiques environnementales plus larges – le pallier, l’immeuble, le quartier, la ville – ainsi que les relations sociales qui y sont associées. »
Le contexte de l’habitat dédié à l’avancée en âge est particulier, car il implique de nombreux intermédiaires : les personnes âgées, mais également leurs proches, des soignants et, plus largement, les concepteurs des politiques publiques. Tous ces intermédiaires influent sur la conception de l’espace propre à cet habitat.
L’élaboration de cet habitat, bien que complexifiée, doit néanmoins permettre aux personnes qui y résident d’y faire l’expérience d’un quotidien où ils puissent se sentir chez eux, ne pas être stigmatisés par une construction inadéquate des espaces de vie privée et collective.
Quels habitats pour les personnes âgées en France?
Le domicile ordinaire est en général conçu comme la meilleure solution pour préserver l’autonomie des personnes, mais comme pouvant avec le temps devenir inadéquat aux besoins fonctionnels des personnes vieillissantes et accentuer les risques d’accidents de la vie quotidienne. Aussi, la prise en charge dans des institutions comme les EHPAD est représentée comme venant répondre à des besoins sanitaires et médicaux.
« Actuellement, les politiques publiques s’engagent dans un « virage domiciliaire et inclusif », qui était déjà soutenu par les acteurs du secteur depuis plusieurs années. »
L’offre d’habitat est repensée pour être améliorée : poursuivre les efforts permettant l’adaptation des domiciles aux besoins des personnes âgées, repenser les EHPAD pour en faire des espaces de vie inclus dans la cité, et développer d’autres lieux de résidence, entre domicile ordinaire et vie en collectivité.
Transformer un logement
Au-delà de la mise en accessibilité permettant aux fauteuils roulants de circuler dans les espaces, des travaux pour sécuriser la salle de bain et les escalier, de nombreux autres travaux peuvent être envisagés pour rendre un logement adapté à la situation des personnes âgées qui y habitent : toutes n’ont pas les mêmes besoins.
Mais il n’est pas toujours facile de réaliser ces travaux : l’architecture, les moyens économiques et sociaux ou l’état de santé des personnes peuvent être des obstacles importants. En outre, ces aménagements ne sont pas toujours bien vécus par les habitants, qui peuvent les juger inesthétiques, voire les refuser et préférer perdre une partie des usages de leur logement.
Vivre en EHPAD
Les EHPAD ont dans un premier temps été construits sur le modèle des hôpitaux, leurs espaces fortement tournés vers le soin, et leurs résidents considérés avant tout comme des patients. Cependant, des EHPAD privés se sont développées en tirant davantage partie de l’architecture hôtelière afin de se présenter comme offrant des services de qualité. Plus récemment, ce sont les espaces domestiques qui ont été pris pour modèle, faisant des EHPAD des lieux de vie ordinaire.
Ouvrir les établissements
L’exigence d’intégration des établissements mène à penser leur ouverture sur la ville et le territoire à travers des modifications architectures. On y installe parfois des services utiles (souvent culturels) aux non-résidents ou, inversement, on encourage les résidents à sortir profiter des services offerts dans la proximité du quartier. Pour amener les personnes extérieures à profiter des services, l’architecture est repensée pour être plus attirante, et correspondre à ces nouveaux usages qui font passer le soin au second plan pour favoriser l’inclusion sociale.
Réorganiser les espaces internes
Après avoir été des lieux autarciques de grande collectivité, les EHPAD sont désormais réagencés pour laisser davantage de place à la vie privée, menées en petits collectifs. Ils sont conçus pour offrir des conditions de vie plus proches du domicile ordinaire et pour intégrer ces nouveaux espaces ouverts sur l’extérieur.
Une offre d’habitat plus diversifiée
« Actuellement, les politiques publiques s’engagent dans un « virage domiciliaire et inclusif », qui était déjà soutenu par les acteurs du secteur depuis plusieurs années. »
L’habitat service
L’habitat service propose des logements couplés à des offres de services selon les souhaits des résidents, adaptés aux personnes âgées autonomes. Ils sont généralement isolés de leur environnement urbain.
L’habitat intergénérationnel
L’habitat intergénérationnel rassemble des personnes âgées et es personnes plus jeunes, dans une perspective de soutien mutuel. Cette dynamique doit être stimulée et soutenue par des dispositifs.
L’habitat participatif
L’habitat participatif n’est pas spécifiquement conçu pour les personnes âgées. Il s’agit de projets de vie en communauté qui impliquent très fortement les résidents, et ce dès la création du collectif : ils construisent ensemble la cohabitation selon leurs propres termes.
L’habitat inclusif
Petits habitats groupés ou partagés, l’habitat inclusif est construit à proximité de services dont peuvent bénéficier les résidents.
Conclusion
Faire des personnes âgées des habitants et non pas des patients dont la santé se dégrade lentement : telle est l’ambition portée par les politiques actuelles de développement et d’adaptation de l’offre d’habitat. Donner plus de choix aux personnes, créer des espaces de vie autonome qui soient synonyme de liberté, favoriser le maintien de l’inclusion sociale passe notamment par d’importants changement dans la conception architecturale des lieux dédiés aux personnes âgée.
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A propos de Manon Labarchède
Manon Labarchède est diplômée en architecture et docteure en sociologie. Ses travaux de recherche portent sur la relation entre habitat et vieillissement. Sa thèse, soutenue en 2021, repose sur une analyse socio-spatiale de l’évolution de l’offre d’hébergement collectif destinée aux personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer.
Elle a également contribué à deux programmes de recherche :
« Habitat, vieillissement et filière de production : vers des innovations sociales » (dir. Guy Tapie), visant à interroger les spécificités d’une offre d’habitat destinée aux personnes âgées et à identifier des innovations pertinentes au regard de leurs besoins actuels ; « Le logement du bien-vieillir » (financement Leroy-Merlin Source), qui analyse les appropriations d’un logement adapté à des curistes (Dax) afin d’étudier ses effets sur l’anticipation du vieillissement.
Ses travaux actuels, menés dans le cadre du projet COMPAC financé dans le cadre du PPR Autonomie, s’intéressent à la mise en oeuvre, au niveau local, des politiques de l’autonomie à destination des personnes âgées et des personnes en
situation de handicap et leur conséquence sur le parcours des individus.
Dans le cadre plus spécifique de cette intervention, elle interroge le lien entre autonomie et habitat des personnes âgées à partir d’une réflexion sur les caractéristiques architecturales de l’offre d’habitat et leurs effets sur l’expérience de vie des personnes et sur leur autonomie.
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