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L’autonomie au prisme des politiques du handicap

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L’autonomie est un terme peu utilisé par les historiennes et les historiens. Pour Gildas Brégain il est cependant possible et utile de retracer l’émergence de ce concept – ou de relever l’utilisation d’un vocabulaire concurrent – dans les politiques publiques, dans les législations nationales et internationales qui se penchent sur la situation des personnes handicapées, mais également dans les discours des acteurs sociaux concernés.

Gildas Brégain s’intéresse plus particulièrement à la façon dont les personnes handicapées manifestent leur désir d’autonomie contre les injonctions sociales et institutionnelles auxquelles elles sont confrontées. Afin d’en donner un aperçu, il développe l’exemple des femmes aveugles au début du XXe siècle : la diversité de leurs situations socio-économiques et de leurs expériences de vie, ainsi que la manière dont elles agissent pour leur émancipation.

Retrouvez le compte-rendu de la troisième séance du séminaire de recherche  « Autonomie(s), indépendance et dépendances ».

Suite à la troisième séance du séminaire de recherche “Autonomie(s), indépendance et dépendances”, retrouvez le compte-rendu complet de l’intervention de Gildas Brégain.

Autonomie : une approche par l’agentivité (agency)

Comme le relevait Mathilde Rossigneux-Méheust (séance 2), Gildas Brégain note que le concept d’autonomie est peu utilisé par les historiennes et les historiens. Pour sa part, il travaille plutôt avec le concept anglo-saxon d’agency, traduit en français par « agentivité ».

« La notion d’agency a surtout été mobilisée par les subaltern studies, une école historiographique indienne qui s’est développée dans le courant des années 1980. Les historiens de cette école ont travaillé à reconnaître aux acteurs dits « subalternes » - c’est-à-dire aux plus opprimés – une subjectivité et une capacité d’agir de façon autonome par rapport aux élites dominantes. »

La fragmentation des politiques publiques du handicap

Faire l’histoire des politiques publiques du handicap est une tâche difficile. Elles ont été conçues à destination de publics spécifiques (on a donc construit des catégories d’action publique).

« La question de l’autonomie dépasse la question du handicap et il conviendrait, pour saisir cette notion dans son entièreté, de prendre en compte un ensemble de politiques non spécifiques au handicap. »

Les dynamiques de genre viennent par ailleurs compliquer l’écriture de cette généalogie, les politiques à destination des hommes étant différentes de celles à destination des femmes.

« Les hommes aveugles étaient encouragés à sortir des institutions et à cesser de vivre en internat, alors que les femmes aveugles étaient incitées à vivre en collectivité, dans des maison-ateliers et en internat. »

La revendication d’indépendance par les acteurs sociaux 

Dans le vocabulaire des associations du champ du handicap, c’est la notion d’indépendance qui l’emporte lorsqu’il s’agit de revendiquer l’autonomie. Elle est inégalement utilisée – par exemple, elle n’est pas mobilisée pour des revendications concernant les femmes ou les personnes déficientes intellectuelles. Cependant, même l’usage de ce terme reste parcimonieux.

« Demander l’aide d’un guide ou l’octroi d’une subvention pour rémunérer un guide et ainsi faciliter les déplacements en autonomie dans l’espace public pouvait être perçu comme contradictoire avec le fait de revendiquer par ailleurs une indépendance totale. »

Une évolution du langage de l’autonomie dans les législations qui varie en fonction des langues

Dans la sphère anglophone, c’est le terme d’independence qui s’impose. Il est traduit en français par « autonomie » – ainsi, c’est dans la sphère francophone qu’émerge ce terme, dans la seconde moitié du XXe siècle.

« Ce changement de vocabulaire est à mettre en lien avec la création, à l’époque, des centers for independent living, ayant pour vocation de faciliter les décisions des personnes concernées en matière d’assistance […]. »

Agir de façon autonome lorsque l’on est une femme aveugle au début du XXe siècle

Gildas Brégain présente son travail, entamé huit ans plus tôt, sur les femmes aveugles dans la première moitié du XXe siècle. Cette recherche, mobilisant une grande diversité de sources à travers lesquelles il cherche à retracer les parcours de vie de ces femmes, lui permet de présenter de nombreux exemples de manifestations de l’autonomie des personnes handicapées, dans un univers de contraintes sociales, culturelles et économiques très fortes.

« L’autonomie des jeunes femmes aveugles ne réside pas dans l’absence de dépendance à autrui […]. L’autonomie se situe pour elles avant tout dans la maîtrise individuelle […]. »

Incitées à rester célibataires et à ne pas avoir d’enfants, encouragées à la passivité par leur entourage, ces femmes n’en agissent pas moins pour manifester leur désir d’autonomie, quel que soit leur lieu de vie ou leur condition sociale.

« On retrouve ainsi, dans les dossiers individuels, des traces de l’indiscipline et du désir d’émancipation de certaines élèves, qui refusent de se plier aux injonctions des professionnels. »

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A propos de Gildas Brégain

Gildas Brégain est historien, chargé de recherche au CNRS et membre laboratoire Arènes de l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique). Il a mené des travaux sur l’histoire transnationale du handicap au XXe siècle, principalement sur la construction des politiques publiques. Ce faisant, il a porté une attention particulière aux mobilisations associatives et au rôle des personnes en situation de handicap dans la construction de ces politiques, ceci en adoptant
une démarche de comparaison internationale – Europe de l’ouest, Afrique du nord et Amérique latine.


Sa thèse a été publiée en 2018, sous le titre Pour une histoire du handicap au XXe siècle. Approches transnationales (Europe et Amériques) aux PUR (Presses universitaires de Rennes).


Il a reçu en 2023 la médaille de bronze du CNRS pour ses travaux sur l’histoire du handicap ; cette médaille récompense les chercheuses et chercheurs en début de carrière et représente un encouragement à poursuivre des recherches
bien engagées et déjà fécondes.


Il débute actuellement une recherche sur les échanges épistolaires des « Cordées » de l’APF (Association des paralysés de France) afin de saisir la façon dont cette association s’est développée à partir des années 1930.

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