Lors du vieillissement, certaines personnes connaissent un déclin cognitif qui met en péril leur autonomie — notamment à l’égard des prises de décision médicales. Quels outils le droit fournit-il pour permettre la continuité de l’autonomie des personnes ? Les juristes Camille Bourdaire-Mignot et Tatiana Gründler présentent les dispositifs juridiques existants, leurs avantages, leurs limites ainsi que les perspectives d’évolution qui leur permettraient d’être plus favorables encore à l’autonomie des personnes âgées.

Certains dispositifs juridiques permettent de protéger l’autonomie décisionnelle des personnes qui ne sont plus en mesure d’exprimer leur volonté.
Les personnes âgées souffrant de troubles cognitifs ne sont pas traitées comme des cas à part. Cependant, il est important de se pencher sur les enjeux qui leur sont propres, afin de s’assurer de la pertinence des mesures de protection et, plus généralement, de ce que prévoit le droit commun pour favoriser leur autonomie décisionnelle, notamment dans des contextes médicaux et médico-sociaux.
L’autonomie de la personne âgée sous protection juridique
La réforme du 5 mars 2007 portant sur les majeurs protégés est favorable à leur autonomie. Elle a créé le « mandat de protection future », qui leur permet de formuler des décisions concernant leur propre protection en prévision d’une situation où ils ne pourraient plus le faire eux-mêmes. Ils choisissent alors de confier cette tâche au soin d’autrui.
Les mesures de protection ne sont déployées qu’en cas de nécessité — lorsque les facultés des personnes sont altérées — et de manière proportionnelle et individualisée.
Cette réforme s’applique dans le champ médical et médico-social. Lorsqu’un majeur est sous protection juridique sans représentation à la personne, il relève du droit commun qui s’applique à ce champ. Lorsqu’un majeur protégé a une représentation à la personne, les mesures de protection ne sont déployées qu’en dernier recours, lorsque les autres dispositifs existants ne suffisent plus.
« Lorsqu’un majeur est protégé avec une représentation à la personne et qu’il est en situation de vulnérabilité, les règles régissant les dispositifs de droit peuvent être adaptées, afin de s’assurer qu’un tiers n’exerce pas sur lui une emprise. »
Les mesures de protection des majeurs sont parfois complexes à appliquer aux cas des personnes âgées et ne sont ainsi pas toujours favorables à leur autonomie.
Une personne âgée risque, la plupart du temps, de se voir attribuer d’emblée la mesure la plus forte. Cela peut être le fait d’une stratégie judiciaire visant à éviter la multiplication des dossiers à traiter, le résultat d’une évaluation inadéquate de l’état de santé de la personne, ou de l’absence d’audition devant le juge.
Une autre limite à l’application de ces mesures est le manque d’information des médecins. Ils ne sont pas toujours avertis des mesures de protection qui ont été prononcées pour leurs patients. Par ailleurs, ils sont parfois trop peu renseignés sur les questions juridiques.
Enfin, les régimes juridiques des actes médicaux spécifiques souffrent d’incohérence avec le droit commun, ce qui complexifie encore leur application.
L’autonomie de la personne âgée fragilisée sans mesure de protection
Une personne âgée souffrant de troubles cognitifs, lorsqu’elle n’est pas sous mesure de protection, entre dans le droit commun. Celui-ci donne une place centrale à l’autonomie décisionnelle sur les questions médicales. Dans ce cadre, depuis 2002, est prévue la désignation d’une « personne de confiance » en cas d’hospitalisation. Le rôle de ce tiers est d’accompagner la personne hospitalisée sans entraver sa liberté, et sa désignation être une bonne occasion d’évoquer les souhaits de traitements du patient âgé avant toute perte de capacités décisionnelles.
« Si le droit cherchait davantage à traiter les cas complexes de recueil du consentement et de délivrance de l’information, cela pourrait peut-être venir en soutien de l’autonomie de manière plus générale : le droit, agissant comme une contrainte, pourrait obliger les acteurs de la santé à aller au-delà des difficultés de dialogue rencontrées avec le patient. »
Le respect de l’autonomie d’une personne âgée souffrant de troubles cognitifs reste complexe.
Des obstacles intrinsèques (confusion et difficultés à prendre la parole lors de l’hospitalisation) et environnementaux (manque de temps, perte de lien social ou au contraire proches trop présents) viennent enrayer les dispositifs. Il ne faut pour autant pas négliger le fait que même lorsque les personnes ont des troubles cognitifs très avancées, elles ont bien une vie psychique et une capacité d’expression.
Le dispositif des directives anticipées, qui propose aux personnes, si elles le désirent, d’exprimer leurs souhaits en matière de traitements médicaux lors de leur fin de vie, a pour inconvénient de figer leurs volontés, qui peuvent avoir changé lorsqu’elles ne sont plus en mesure de s’exprimer. D’autre part, le texte de loi présentant ce dispositif présente des ambiguïtés. Que signifie « hors d’état de s’exprimer ? » – il ne faut pas décider de l’usage des directives lorsque la communication avec le patient devient délicate. Qu’est-ce que la « fin de vie » ? – les personnes âgées étant d’emblée considérée comme étant « à la fin de leur vie », un usage excessif du dispositif peut vite émerger.
« Ces directives doivent être appréhendées au regard de ce que les personnes ont pu envisager au moment de les rédiger, et ne pas être utilisées dans des situations qu’elles n’ont pas pu anticiper réellement. »
Plus récemment, les EHPAD sont devenus des prescripteurs : certains proposent systématiquement la rédaction de directives anticipées aux futurs résidents. Cette tendance fait courir le risque de malfaisance et engage à penser qu’entrer en EHPAD n’est pas venir y vivre, mais venir y mourir.
Camille Bourdaire-Mignot et Tatiana Gründler
Camille Bourdaire-Mignot est maîtresse de conférences en droit privé à l’Université Paris-Nanterre. Tatiana Gründler est maîtresse de conférences en droit public à l’Université Paris-Nanterre.
Elles sont les co-autrices de plusieurs travaux juridiques sur l’expression de la volonté des personnes âgées ou des personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Elles étudient notamment de la question de l’autonomie décisionnelle des personnes confrontées à un déclin cognitif, tant dans le champ du droit de la santé que dans celui du droit du médico-social.
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