- Laure Saincotille
- 14/11/2024
Faire le récit de soi au sein d’un groupe peut-il contribuer au rétablissement des personnes et, ce faisant, à leur autonomie ? Réponse avec la psychologue clinicienne Ketty Steward autour de la présentation des travaux de sa thèse, et des échanges qui s’en sont suivis avec nos invités, Isabelle Galichon, docteure en littérature francophone et comparée, et Rémi Boissy, chorégraphe et metteur en scène.
Présentation de la thèse de Ketty Steward
La dépression est moins bien diagnostiquée et moins bien traitée chez les personnes âgées que dans le reste de la population générale. Elle se manifeste en effet avec des symptômes atypiques, qui sont parfois difficiles à dissocier des symptômes d’autres pathologies. En outre, nos représentations sociales suggèrent qu’il est normale que les personnes âgées éprouvent une éprouve de la tristesse.
Dans sa thèse, Ketty Steward utilise le paradigme du rétablissement. Il s’agit là d’un usage peu commun, ce paradigme ayant émergé au sein de patients souffrant de maladies chroniques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Le concept a récemment été détourné de son usage premier – apprendre à “vivre avec” une pathologie et retrouver ainsi du pouvoir d’agir -, pour servir à remettre des personnes jeunes en capacité de travailler. Appliquer le paradigme du rétablissement dans le cadre de la clinique du sujet âgé le ramène à ses origines en se concentrant sur la recherche des ressources dont disposent les individus pour mener à la vie à laquelle ils aspirent.
Pour Ketty Steward, les récits sont omniprésents car c’est à travers eux que nous cherchons à faire sens du monde qui nous entoure et de notre expérience de vie. Elle a abordé les pratiques de récit de soi avec un outil de psychologie : celui de la “perspective temporelle“, qui permet de caractériser et décrire les différents rapports au temps des personnes et leurs évolutions au cours de la thérapie.
Le dispositif de soin qu’elle a mis en place a pris la forme de 10 séances réunissant un groupe de 5 à 10 personnes fréquentant un hôpital de jour en psychiatrie du sujet âgé. Les participants et participantes étaient invités à écrire un court texte évoquant un élément de leur histoire personnelle, en lien avec le thème de la séance, puis s’ensuivait un moment de partage et de discussion autour des écrits de chacun.
Afin d’éviter que les personnes impliquées dans son dispositif de soin ne produisent des récits conformistes et stéréotypés, influencés par le contexte du soin et la présence d’une psychologue, Ketty Steward a favorisé une approche non-chronologique du récit de vie. La dynamique de groupe contribuait également à créer un cadre d’échanges plus vivants et plus riches.
Si la relation de soin et son cadre peuvent agir comme des contraintes, ce sont également des points d’appui pour travailler au rétablissement de l’autonomie des personnes. L’imposition de l’écriture a été vécue par les patients comme quelque chose de positif. Cependant, dans un contexte clinique ou les souhaits et la volonté des patients sont encore trop souvent ignorés par les équipes soignantes, il reste important d’apprendre à se mettre en retrait une fois que les personnes prises en charge sont de nouveau en mesure de faire des choix et d’agir par elles-mêmes pour contribuer à leur propre rétablissement.
Table-ronde
La table-ronde avec les intervenants Rémi Boissy et Isabelle Galichon a été l’occasion de présenter leurs activités, puis de discuter de problématiques communes, en lien avec le travail de Ketty Steward.
Isabelle Galichon a présenté succinctement la médecine narrative : sa naissance dans le courant du XXe siècle dans la sphère anglophone, puis son développement dans d’autres pays et en France, plus récemment avec la création à Bordeaux de la chaire Médecine narrative – hospitalité en santé. Ce courant s’est principalement penché sur les enjeux du développement de “compétences narratives” chez les soignants, afin d’améliorer les relations de soin.
Rémi Boissy a présenté la compagnie de théâtre Fearless Rabbits, intéressée par la question de la mémoire, de ses manifestations et de son effacement. Plus particulièrement, son projet Human Old Movements Old Stories (H.O.M.O.S) se penche sur les troubles mémoriels, qu’il a été observer dans deux EHPADs en organisant des ateliers faisant collaborer des patients, leurs familles et des soignants autour de ce qu’il appelle des “objets chéris” et des souvenirs dont ils sont porteurs.
Une première question transversale portait sur les manifestations de l’autonomie à travers les pratiques narratives organisées dans un cadre médical. Les trois intervenants entretiennent des rapports volontairement distants et critiques avec la notion d’autonomie.
Pour Ketty Steward, c’est un terme trop focalisé sur l’individu, alors qu’en société nous ne faisons rien seuls : certaines dépendances ont été stigmatisées, et elle aide ses patients à lutter contre cette stigmatisation à travers la force des espaces collectifs qu’elle propose. Isabelle Galichon ajoute qu’en médecine narrative, les ateliers comprennent toujours une dimension d’échange autour des expériences des différentes parties-prenantes du soin. L’émancipation, un processus choisi, est quant à elle à distinguer de l’autonomie.
Rémi Boissy considère que la volonté de participation des personnes atteintes de troubles mémoriels témoigne de leur autonomie : leurs pathologies ne les rend pas moins aptes à manifester leurs choix.
Tous insistent sur le besoin de temps et d’un cadre approprié à la manifestation des choix et des personnalités des patients : temps long, attention portée au consentement et aux relations de soin, ouverture d’un espace libre de toute visée prédéterminée.
La seconde question transversale portait sur les composantes sociales et médicales des dispositifs de soin par le récit de soi.
Le projet H.O.M.O.S a indéniablement une portée sociale, puisqu’il s’agissait d’aller à la rencontre de personnes inconnues pour tisser du lien autour de leurs souvenirs. Pourtant, Rémi Boissy précise que ces ateliers ont eu, sans que cela soit prévu, un intérêt médical pour les soignants.
Pour Ketty Steward, son dispositif était conçu avant tout comme médical, mais il s’est éloigné de ce prisme et de sa tendance au contrôle, à sa volonté de prévoir la façon dont a lieu le processus de rétablissement. Il est pour elle impossible de savoir quels seront les effets de ses ateliers : chaque patient s’en saisit à sa façon, avec ses ressources, selon une temporalité qui lui est propre. Le soin consiste davantage en une proposition ouverte qu’en un programme à suivre et compléter.
L’épopée : la reco culture de Marianne Vigneulle
Marianne Vigneulle, responsable de la médiation scientifique du PPR Autonomie, nous suggérait cette fois-ci de découvrir un projet éditorial singulier, fruit d’un travail de médiation culturelle au près de personnes âgées. Les différents numéros de L’Épopée proposent tant des visites que des témoignages et des récits de personnes qui ont bien connu les lieux qui y sont présentés – la Normandie, la Brenne, le Chemin de l’île à Nanterre ou encore un tiers-lieu de l’Yonne.
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