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Émission live #7 Vieillir à Montréal : gentrification, précarité et résistance

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À Montréal, les locataires vieillissant dans des quartiers gentrifiés voient leur précarité s’accentuer. Comment les personnes âgées font-elles face aux bouleversements de leur environnement de vie ? Quels appuis pourraient être développés, au Québec et en France ? Réponse avec Julien Simard autour de la présentation de son ouvrage Vieillissement et crise du logement — Gentrification, précarité et résistance (PUM, 2024) et en discussion avec Suzanne de Cheveigné et Vincent Caradec.

Présentation du livre de Julien Simard

Cartouche de biographie de Julien Simard : Julien Simard est sociologue, post-doctorant à l’Université de Montréal. Formé à la gérontologie sociale critique et à l’anthropologie de la santé, spécialiste des études urbaines et du travail social, il étudie les enjeux du vieillissement au Québec. Dans son ouvrage Vieillissement et crise du logement (PUM, 2024), il s’est penché sur la situation de précarité de locataires vieillissantes en contexte de gentrification. Eléments visuels : portrait photo de Julien Simard ; logos CNRS et PPR Autonomie

Le vieillissement comme processus social

Julien Simard ancre ses travaux dans la gérontologie sociale critique. Cette approche se distingue d’une gérontologie centrée sur les questions biomédicales.

Cela consiste à étudier le vieillissement non pas comme un destin biologique, mais comme un processus social marqué par les conditions matérielles d’existence, le genre, la classe, l’origine ethnoculturelle, etc.

Il y a plusieurs vieillissements

Il y a plusieurs manières de vivre en société, et par conséquent plusieurs manières de vieillir. Pourtant, les politiques publiques ont tendance à homogénéiser la population âgée. Ces politiques sont conçues pour un certain type de personnes âgées : les propriétaires d’une maison pavillonnaire dont l’hypothèque a été payée.

Le travail de Julien Simard consiste à montrer que, d’un point de vue sociologique, il y a une erreur de préconception. Il s’agit donc de décrire avec précision la diversité des vieillissements et des situations des personnes vieillissantes.

Définir la gentrification

La définition la plus courante de la notion de « gentrification » la décrit comme le remplacement d’une population par une population plus aisée. Les gentrifieurs peuvent être des étudiants ou des personnes possédant un capital culturel. Ils n’ont pas toujours de capital économique.

La gentrification a notamment des conséquences sur la spéculation immobilière et sur l’offre de logements locatifs. Dans un contexte de forte demande, les propriétaires cherchent à obtenir davantage de gains en montant les prix des loyers.

Vieillir dans un quartier qui se gentrifie

Les personnes vieillissantes sont, dans les quartiers centraux des grandes villes du Québec, parmi celles qui souffrent le plus de la gentrification.

Elles sont souvent visées par les propriétaires qui cherchent à les évincer, même si elles ne sont pas en faute : les faire partir du logement permettrait aux propriétaires d’augmenter le prix du loyer ou de mener à bien d’autres projets immobiliers plus avantageux économiquement.

Des aînés dans les mouvements sociaux ?

Le point de départ du travail de Julien Simard a été son intérêt pour l’implication des personnes vieillissantes dans les mouvements sociaux de locataires qui se mobilisent pour leurs droits. Il souhaitait aller contre le préjugé courant que les personnes âgées sont apolitiques. Cela l’a mené à se pencher sur les situations locatives, encore peu étudiées. Plus particulièrement, il s’est posé la question du rapport affectif au logement, lorsque la gentrification d’un quartier pousse les personnes âgées à envisager de le quitter.

Assignation à résidence et mobilité contrainte

Lorsqu’un quartier se gentrifie, un locataire vieillissant qui touche une petite retraite ne peut plus choisir son lieu de résidence. Dans un contexte de spéculation immobilière et de hausse des loyers, il craint que la relation avec son propriétaire se dégrade. Celui-ci risque de chercher à l’expulser pour profiter de la conjoncture économique — augmenter le loyer à son tour avec moins de restrictions, rénover et vendre, etc. Manquant de ressources, ce locataire ne peut pas non plus décider de s’installer ailleurs dans le quartier pour échapper à cette insécurité.

Les visages d’une enquête : un biais de sélection

Julien Simard précise qu’il y a un biais de sélection dans son enquête, car il a rencontré ces locataires par le milieu associatif. Il ne s’agit donc pas de personnes âgées très isolées. Elles sont toutes actives — avec des implications variables — dans un comité logement. Elles y sont arrivées pour chercher de l’aide afin de faire face à une difficulté avec leur propriétaire, puis restées dans l’association. Elles ont par ailleurs un passé d’engagement civique ou politique.

Les visages d’une enquête : les locataires

Ce sont majoritairement des femmes vivant seules suite à une séparation ou à un veuvage. Elles occupaient auparavant de petits emplois — cantinière, baby-sitter, secrétaire, etc. Les niveaux de leur retraite sont d’autant plus bas qu’elles ont en général exercé des emplois dans le domaine du care, souvent rémunérés hors de l’impôt, ce qui ne leur a pas permis de cotiser beaucoup. Précaires, elles subissaient fortement l’inflation.

Ayant un passé d’engagement, elles en ont gardé un sens de la justice et la volonté de défendre leurs droits — tenir tête au propriétaire, monter des dossiers, aller au tribunal, etc.

Le paysage d’une enquête : le lieu de vie (1)

Ces locataires habitent dans les quartiers centraux de Montréal. Elles bénéficient d’un service de transports en commun bien desservis et de la proximité de services de santé. Elles y trouvent aussi de nombreux commerces — bien que la gentrification en fasse augmenter les prix.

Les appartements dans lesquels elles résident sont conçus pour une à deux personnes, et sont d’une surface de 55 à 90 m² environ.

Le paysage d’une enquête : le lieu de vie (2)

Ces logements sont la plupart du temps situés au deuxième étage de duplex ou de triplex. On y accède par un escalier extérieur en fer forgé, qui peut devenir un défi à l’autonomie des personnes âgées pendant l’hiver. Certaines ne peuvent plus sortir de chez elles à cause de la neige.

Construits dans les années 1950-1960, ils sont relativement récents, mais parfois mal isolés. Cela les place en situation de précarité énergétique : les hivers sont très froids, et le chauffage coûte cher.

Évincer

Lorsqu’un propriétaire souhaite reprendre un logement, il a recours à diverses formes de menaces, qui peuvent être directes ou indirectes.

Il peut commencer par chercher à faire peur, en espérant que le locataire quitte le logement de lui-même, puis demander un départ sans procédure légale. En cas de résistance, les pressions peuvent s’accentuer, et se transformer en démarches juridiques d’éviction.

Résister à l’éviction

Lorsque les personnes connaissent leurs droits, elles sont en mesure de s’assurer que la demande d’éviction est bien légale.

Les comités logement fournissent de l’aide aux locataires afin qu’ils soient bien renseignés. Dans le cas d’une procédure d’éviction illégale, les locataires peuvent la contester au tribunal.

Cependant, les tribunaux se rangent la plupart du temps du côté des propriétaires, et donnent rarement raison aux locataires.

Les difficultés du tribunal

Souvent, les locataires n’ont pas les moyens de payer un avocat pour les défendre, et un biais de classe les défavorise face aux juges administratifs. Parfois, les propriétaires déposent de fausses preuves contre leurs locataires, par exemple de faux plans d’architecte.

Certains locataires ne renoncent pas. Ils tentent d’obtenir des compensations monétaires importantes afin de négocier de meilleures conditions de départ. Là aussi, les comités logement permettent de faire face à ces situations, que des personnes seules ne pourraient pas affronter.

La relation locative comme source d’inquiétude

Dans ce cadre, les relations entre propriétaire et locataire sont directes et semblent éloignées des relations de service usuelles. Lorsqu’un locataire demande une réparation ou une rénovation à son propriétaire, il peut avoir le sentiment de le déranger. Si les réparations ne sont pas effectuées et que le seul recours est celui de mener le problème au tribunal, la relation entre propriétaire et locataire s’envenime, ce qui inquiète le locataire : le propriétaire pourrait décider d’augmenter le loyer ou chercher à se débarrasser de son locataire en l’expulsant.

Encart citation de Julien Simard : "J’ai souvenir d’une dame dont l’eau chaude ne marchait plus, et qui l’hiver prenait son bain dans l’eau froide pour ne pas avoir à demander au propriétaire de changer le chauffe-eau. Parce qu’elle avait peur que ça soit utilisé comme un levier par le propriétaire pour hausser son loyer."

Renoncer aux rénovations

Une façon d’éviter le danger d’une dégradation de la relation locative consiste à ne pas demander au propriétaire d’effectuer les travaux. À la place, la locataire peut choisir de renoncer à l’usage de certaines pièces ou des équipements défectueux — ce qui peut être vécu comme une forme de déprise sur son lieu de vie.

Certaines optent pour faire les choses elles-mêmes et effectuer des rénovations mineures.

Les comités logement

Au Québec, des comités de locataires ont été créés dans les années 1960, dans une période politiquement très active. Initialement, il s’agissait de comités de défense citoyenne. Leurs mobilisations ont permis la mise en place d’un tribunal du logement à la fin des années 1970. Tout en travaillant avec l’État en tant que groupe de pression, les comités aident directement les locataires à comprendre les lois, les possibilités de contestation, les règles d’encadrement des loyers, etc. Leurs activités permettent aussi de faire mieux connaître les enjeux liés au logement.

La place des aînés dans les comités

Un tiers des membres actifs des comités logement sont des personnes âgées. Ce sont pour elles des groupes de militance, mais également de socialisation. Les aînés y trouvent un sentiment de communauté qui les fait sortir de l’isolement, tout en leur donnant le sentiment d’agir pour faire changer les choses : aller vers la création de nouveaux logements sociaux, améliorer des conditions de logement de toutes et tous. C’est un engagement politique qui, contrairement à celui pour les retraites, est intergénérationnel et leur permet de rencontrer des personnes de tous âges.

Les comités comme vecteur d’empowerment

Les locataires arrivent en général dans les comités lorsqu’elles rencontrent des difficultés avec leur logement. Elles restent ensuite impliquées, car les comités leur ont permis de comprendre que leurs difficultés ne relèvent pas d’une faute morale qui pourrait leur être imputée, mais sont des problèmes sociaux.

La démarche d’éducation populaire des comités leur donne des clefs pour saisir les phénomènes de gentrification ou de hausse des prix. L’échange entre pairs devant faire face aux pressions d’un propriétaire leur permet de se sentir capables de faire des démarches pour résister.

La loi et ses limites

Adoptée en 2016, la Loi modifiant le Code civil afin de protéger les droits des locataires aînés interdit désormais l’éviction des locataires âgés de 65 ans et plus vivant depuis plus de dix ans dans leur logement et touchant un faible revenu.

Pourtant, cette loi a protégé très peu de locataires dans les tribunaux depuis son entrée en vigueur. Le problème de l’insécurité des locataires vieillissantes persiste : les menaces et le harcèlement des propriétaires ont lieu dans la sphère de l’intime. C’est une violence du quotidien qui s’exerce dans les failles du système juridique, et qui s’apparente à une forme de maltraitance tolérée par l’État social et le droit.

Table ronde — De la précarité au pouvoir d’agir

Les personnes âgées doivent faire face à des changements parfois déstabilisants : difficultés économiques, mutations de leur environnement de vie, problèmes de santé, difficultés physiques, etc. Ces changements peuvent impacter négativement leurs relations avec leur logement. Comment réparer le lien à son « chez soi », pour continuer à s’y sentir bien, et à s’y sentir « soi » ? Les invités de la table ronde reviennent sur ces difficultés et explorent une diversité de dispositifs et d’initiatives visant à favoriser la (re)prise de pouvoir sur le lieu de vie lors du vieillissement.

Encart biographie de Suzanne de Cheveigné : "Suzanne de Cheveigné est Directrice de recherche émérite au CNRS et Présidente de l’Association nationale des Compagnons Bâtisseurs. De par son activité au sein des Compagnons Bâtisseurs, association majeure de lutte contre le mal-logement de personnes en situation de vulnérabilité, elle aborde des questions telles que l’adaptation des logements à une perte d’autonomie de leurs habitants ou la lutte contre la précarité énergétique." Éléments graphiques: portrait photo de Suzanne de Cheveigné, logos CNRS et PPR Autonomie

Suzanne de Cheveigné

Les Compagnons bâtisseurs

L’association des Compagnons bâtisseurs lutte contre le mal-logement depuis près de 65 ans. Elle aide les personnes en difficulté à améliorer leur logement en les impliquant autant que possible dans cette démarche. Elle met en œuvre les travaux ou accompagne à leur réalisation. Ainsi, tout en rénovant les habitations, elle encourage les personnes à reprendre confiance en elles et à retrouver du dynamisme : c’est une stratégie d’empowerment.

Précarité et vieillissement

L’association des Compagnons bâtisseurs s’adresse à tous types de publics.

Cependant, la question du vieillissement devient de plus en plus importante, jusqu’à devenir très récemment l’un des points principaux de son projet quinquennal. Certains territoires sont plus touchés que d’autres. Les territoires d’outre-mer, par exemple, ont une population très vieillissante du fait de la migration des jeunes vers la métropole.

Une création de lien social

C’est l’association qui, la plupart du temps à la demande d’un travailleur social, va au-devant des personnes identifiées comme pouvant avoir besoin d’un accompagnement à la rénovation. Pour ce faire, l’association entame un dialogue avec les personnes et développe un lien social avec le voisinage. Elle crée par exemple des ateliers de quartier. 

Suzanne de Cheveigné note que ce lien lui semble moins fort que celui tissé par les comités logement au Québec, et qu’il serait important de renforcer cette action.

Les propriétaires en France

Elle décrit les mutations récentes de l’offre de location immobilière en France. Celles et ceux qui sont particulièrement en difficulté pour se loger sont dirigés vers le logement social, souvent géré par de vastes entités institutionnelles. La propriété immobilière étant devenue un investissement très rentable, un nombre important de petits propriétaires ont acheté des biens pour les mettre en location. Aussi, en France comme au Québec, les situations de tension entre propriétaires et locataires sont courantes.

Encart biographie de Vincent Caradec : "Vincent Caradec est sociologue, professeur à l’université de Lille, spécialiste des modes de vie à la retraite et des expériences et enjeux du vieillissement. Il est notamment le directeur scientifique du PPR Autonomie, et le directeur adjoint de l’Institut de la longévité, des vieillesses et du vieillissement (ILVV)." Eléments graphiques : portrait photo de Vincent Caradec, Logo CNRS et PPR Autonomie

Vincent Caradec

La diversité des aînés

Pour Vincent Caradec, il est important de rappeler que les personnes âgées constituent une population très hétérogène. Certaines ont la soixantaine tandis que d’autres sont centenaires. Certaines vivent seules, d’autres en couple ou encore avec d’autres personnes. Certaines vivent en établissement spécialisé, d’autres sont locataires ou propriétaires d’un logement ordinaire. Certaines sont de grands patrons, d’autres sont des veuves âgées qui vivent de l’aide sociale.

Déménager : ce que l’on quitte

Les enquêtes témoignent de l’attachement des personnes âgées à leur « chez soi ».

Cependant, certaines sont insatisfaites de la faible qualité du bâti de leur logement. D’autres déplorent les mutations du quartier où elles résident : elles peuvent s’y sentir étrangères, voire indésirables — cela peut arriver, par exemple, lors d’un processus de gentrification.

Déménager : choix ou contrainte ?

Déménager peut être un choix — par exemple pour les jeunes cadres retraités parisiens qui décident de partir en retraite dans leur résidence secondaire du bord de mer.

À l’opposé, certaines personnes âgées sont contraintes d’entrer en EHPAD suite à une hospitalisation, car leurs proches et le personnel médical leur signifient que rentrer à leur domicile est inenvisageable. Entre ces deux extrêmes se trouve une diversité de situations intermédiaires, par exemple lorsque les deux partenaires d’un couple sont en désaccord sur le lieu de résidence à favoriser.

Déménagement : pour aller où ?

Le déménagement peut être plus ou moins bien vécu en fonction du confort du nouveau logement ou de son emplacement. Cela tient aussi aux opportunités de sociabilité qu’il peut apporter.

Encart citation Vincent Caradec : "J’ai souvenir d’une veuve rencontrée dans une enquête sur les inégalités sociales dans la vieillesse : elle avait déménagé sur l’insistance de ses enfants, après le décès de son mari. Elle s’était rapprochée d’eux, et elle disait regretter d’avoir déménagé, parce qu’elle avait perdu son réseau de sociabilité, qu’elle regrettait tous ses amis qu’elle avait dû laisser en déménageant."
Déménagement : l’expérience de l’EHPAD

Certaines personnes âgées qui déménagent en EHPAD ne s’habituent jamais à ce nouveau cadre de vie, à faire de leur chambre leur « chez soi ». Celles et ceux qui y arrivent jeunes (sexagénaires ou septuagénaires) parviennent davantage à s’y installer. Une minorité d’aînés, enfin, ayant connu une trajectoire résidentielle complexe, trouve dans l’EHPAD un refuge, le sentiment d’être arrivé dans un « havre de paix ».

Se sentir étranger au monde

Lorsque l’on vieillit, on voit le monde changer autour de soi.

Des transformations environnementales peuvent amener des pertes de repères, le sentiment de ne plus être à sa place et d’être étranger dans un monde qui nous était pourtant familier auparavant. Cela peut être des voisins bien connus qui déménagent et l’arrivée de jeunes cadres, des commerces anciens qui ferment, etc.

Précarité résidentielle : une diversité de causes

La « précarité résidentielle » est, selon Julien Simard, produite par un mélange de facteurs internes et externes. Dans son travail, il s’est penché sur des facteurs externes comme le comportement d’un propriétaire et la rénovation urbaine. Ces facteurs peuvent s’entremêler à d’autres, internes : la santé, le parcours de vie, les revenus, etc. Vincent Caradec relève que l’apparition de difficultés physiques vient fragiliser le lien au logement, et que cette fragilisation est une forme de précarité résidentielle.

Encart citation Vincent Caradec : "L’anthropologue, Bernadette Puijalon, qui a été une précurseure des travaux sur la vieillesse, avait cette très belle formule : elle disait que le chez-soi est à la fois un repaire — dans lequel nous nous sentons protégés des agressions extérieures —, et puis c’est un repère tout à la fois identitaire, spatial et temporel, qui ancre l’identité, qui ancre la personne."

Retrouver du pouvoir d’agir

Transformer son logement

Dans le cadre de l’association des Compagnons bâtisseurs, l’accompagnement à la rénovation peut aussi consister à installer divers dispositifs matériels comme des rampes pour fauteuil roulant, des barres de soutien, etc. Ces aménagements aident les personnes vieillissantes à se réapproprier leur logement pour qu’il reste un « chez soi » lorsqu’elles rencontrent des difficultés physiques.

Suzanne de Cheveigné souligne qu’il est important de pouvoir faire ces travaux lorsque les personnes sont encore jeunes, en amont de l’apparition de difficultés physiques et afin d’éviter leur survenue.

Se réapproprier son « chez-soi »

Au-delà de ces travaux d’adaptation du logement, Vincent Caradec précise que de nombreuses autres démarches peuvent être faites, impliquant des changements dans les usages des lieux. Cela peut être, par exemple, s’installer au rez-de-chaussée, ou encore confier à quelqu’un d’autre le soin du jardin lorsqu’il n’est plus possible de s’en charger soi-même.

Des dispositifs existent, au sein de certaines municipalités, pour que les personnes âgées puissent partager leur jardin avec des personnes plus jeunes qui n’en ont pas.

Penser au confort

Le terme d’ « adaptation » du logement lors du vieillissement est parfois perçu comme stigmatisant et peut jouer un rôle de repoussoir. Les personnes âgées écartent alors la perspective des travaux ou refusent de les envisager. Certains jeunes retraités pensent davantage en termes de confort, sans nécessairement anticiper des difficultés physiques — une douche à l’italienne, par exemple, est jugée plus agréable qu’une baignoire.

Vincent Caradec suggère que présenter plus positivement les travaux propices au maintien de l’autonomie, en parlant de confort, pourrait favoriser leur mise en œuvre.

Le lien aux autres

Pour Vincent Caradec, le maintien d’une familiarité avec le domicile est aussi soutenu par les relations aux autres : celles et ceux qui passent dans le logement, même de manière ponctuelle. La présence des proches, notamment des enfants et des petits-enfants, est importante pour les personnes âgées. Les aides à domicile, quant à elles, permettent aux personnes de continuer à vivre dans leur domicile, et constituent un lien avec la communauté extérieure.

Vivre dans son quartier

Le vieillissement étant un phénomène social, Suzanne de Cheveigné note que c’est surtout sur cet aspect que l’activité de l’association des Compagnons bâtisseurs est importante. L’animation du voisinage par les bénévoles et des volontaires en service civique ajoute une dimension intergénérationnelle bienvenue. Pouvoir être acteur dans son quartier est aussi essentiel : s’y sentir bien, pouvoir participer aux ateliers, venir bricoler ou simplement discuter en prenant le café, etc.

L’adaptation des domiciles au Québec

Au Québec, il existe des programmes provinciaux permettant de financer des rénovations — notamment la pose de barres pour éviter les chutes dans la salle de bain ou l’adaptation des escaliers. Cependant, beaucoup de propriétaires refusent d’effectuer ces travaux pour leurs locataires, au prétexte que cela ferait baisser la valeur des logements. Pour Julien Simard, cela témoigne d’une logique capacitiste dont il est nécessaire de se défaire.

Disparités sociales et territoriales

Pour Julien Simard, les programmes de financement des rénovations semblent être conçus à destination d’une certaine classe sociale et d’un certain type de bâti : les propriétaires de pavillons. La situation des locataires vieillissants reste impensée. Cela tient notamment à des disparités territoriales. Il y a beaucoup plus de locataires à Montréal que dans le reste du Québec, aussi leur cas est-il moins pris en compte.

Vers des résidences à but non lucratif

Les résidences conçues pour les personnes âgées sont mieux adaptées aux situations de perte d’autonomie. Cependant, au Québec, l’habitat intermédiaire — entre le logement ordinaire et l’établissement médicalisé — est peu développé. De plus, ces résidences sont actuellement en grande majorité créées par des entreprises privées et sont très onéreuses. L’État finance ces établissements avec des subventions, et semble avoir ainsi confié au secteur privé la gestion de la perte d’autonomie. Cela va en effet de pair avec un phénomène de privatisation des soins à domicile.

Résister au néolibéralisme ?

Suzanne de Cheveigné note que la progression du néolibéralisme au Québec lui semble plus avancée qu’en France à l’égard de la privatisation des soins et des protections juridiques des locataires âgés.

Elle suggère que c’est peut-être pour cela qu’on y trouve davantage de mouvements de résistance sous la forme du fort dynamisme associatif des comités logement.

Rénover et coopérer

Pour Suzanne de Cheveigné, il est important de rénover le bâti existant pour réduire la précarité énergétique et s’adapter aux enjeux de l’autonomie. Faire évoluer les modes d’habiter est aussi un levier de changement : il est possible de créer des habitats coopératifs, ou encore de disperser des logements pour personnes âgées dans un quartier en les mettant en réseau.

Julien Simard ajoute qu’au Québec, il y a de plus en plus d’initiatives pour développer de nouveaux modes de vie et d’habitat et pour lutter contre l’isolement social lors du vieillissement. Elles sont cependant freinées par des problématiques de financement.

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